Abdoulaye Sarr, Alexandra Fronville, Laurent Lemarchand, Pascal Ballet et
Vincent Rodin.
Evolutions viables de formes par application de mécanismes
cellulaires.
34ème séminaire de la société francophone de
biologie théorique (SFBT), pages 7-8, St Flour (France), 26-28 mai 2014.
Résumé :
Nous présentons ici une nouvelle approche permettant
d'appréhender l'émergence de formes lors du
développement cellulaire.
Nous nous sommes fixés comme hypothèse qu'au-delà de
l'influence des forces mécaniques et de l'expression
génétique, les contraintes s'appliquant à la cellule
au cours du développement cellulaire jouaient un rôle
important dans l'acquisition de formes particulières.
Cependant, pour comprendre l'évolution d'un système vivant du
point de vue informatique, les modèles existants représentent
individuellement les éléments du système global puis
les mettent en interaction entre eux mais aussi avec un environnement.
Ces simulations révèlent des effets collectifs inattendus dont
la théorie mathématique est parfois très difficiles
à établir.
Pour étudier ce passage de l'individuel au collectif, qui est au
cœur des théories récentes de la complexité, on
utilise une formalisation issue de la théorie de la viabilité.
Les algorithmes s'inspirant de cette théorie décrivent la
co-évolution des formes et des contraintes morphologiques au cours des
divisions cellulaires.
Mais aussi la dynamique de chaque élément de l'ensemble,
dynamique dépendant tout de même de celle de l'ensemble.
La morphogenèse que nous étudions ici est donc un processus de
génération de formes par un système cellulaire
évoluant dans le temps à l'aide d'une fonction de contrôle
et soumis à des contraintes.
Chaque entité du système est une cellule appliquant un
contrôle à chaque pas de temps, régulier.
L'ensemble cellule+contrôle amène le système d'un
état à un autre tel qu'il respecte un certain nombre de
contraintes.
Cette évolution du système reste discrète car son
état, son ensemble de contrôles et son évaluation
sont considérés à des intervalles de temps
réguliers.
L'étude est faite sur l'ensemble des évolutions possibles d'une
forme initiale par deux mécanismes cellulaires que sont la mitose et
l'apoptose.
Les règles d'évolution d'une forme étudiées et
comprises avec ces deux mécanismes, permettent de concevoir des
contrôles de feedback en cas de perturbations de la forme.
Ce qui nous garantirait par la suite une certaine robustesse de la forme
par autopoïèse.
Cette étude des évolutions d'une forme pose des problèmes
importants sur le plan algorithmique et informatique.
Tout d'abord la représentation des ensembles en construction qui
nécessite beaucoup de mémoire.
Ensuite, le parcours de ces ensembles qui est souvent très coûteux
en temps.
Nous avons donc proposé un modèle pour la représentation
des ensembles de formes.
Ensuite, nous avons développé des algorithmes pour gouverner la
création et l'évolution de ces ensembles ainsi que la dynamique
de chacun de leurs éléments.
Les algorithmes implémentent des concepts de la théorie des
ensembles et de la théorie de la viabilité.
La théorie de la viabilité [1] propose un ensemble de concepts et
de méthodes pour contrôler un système dynamique afin de le
maintenir dans un ensemble de contraintes de viabilité.
Nous caractérisons ici ce qui définit notre modèle
d'évolution d'ensemble de formes :
- État: l'état du système au temps n est En,
l'ensemble des formes atteintes au temps n.
- Contraintes : pour quitter un état du système vers un
autre, c'est à dire pour atteindre un ensemble de formes à
partir d'un autre, les cellules dans chaque forme sont soumises à
un certain nombre de contraintes.
Sur le plan comportemental, elles doivent obéir à des
règles biologiques et sur le plan physique, elles doivent respecter
les contraintes du voisinage et de l'environnement.
- Contrôle : chaque cellule dans chaque forme au temps n est
autorisée à appliquer tout contrôle qui lui permet
une action respectant les contraintes à ce temps.
Implémenté avec le mécanisme de mitose, le programme
permet:
- de connaître l'ensemble des évolutions futures jusqu'à
un temps donné d'une forme initiale placée dans une grille 2D,
- de disposer de l'ensemble des chemins qui permettent d'arriver à
une forme donnée en un temps fini à partir d'une forme initiale,
- de pouvoir archiver pour chaque forme et chaque étape de sa
construction, la dynamique en jeu.
Ce modèle nous permet de connaître l'ensemble des formes possibles
à n nombre de cellules.
Ainsi, il nous est possible de connaître dans cet ensemble, le chemin qui
mène vers des formes qui sont proches des patterns (organisme ou tumeur)
que nous voulons étudier.
Et par là, quels sont les chemins à éviter,
c'est à dire menant vers des patterns indésirables.
Cette évaluation peut être faite à chaque pas de temps
où une forme est atteinte.
Nous avons procédé à sa validation grâce à
l'outil de simulation de morphogenèse Dyncell [2].
Il permet à partir d'une cellule avec un programme de
générer un pattern en suivant les instructions contenues dans
ce programme.
Le calcul et le parcours d'ensembles s'apparentent à un problème
combinatoire.
Les complexités aussi bien en temps qu'en mémoire sont des
verrous pour appliquer les algorithmes à des cas d'étude plus
intéressants.
C'est pour cela que nous avons travaillé sur l'optimisation.
En effet, nous avons veillé à ce qu'il n'y ait pas de redondance
dans chaque ensemble de formes atteint aussi bien pour la forme que pour ses
différentes transformations géométriques.
Nous avons aussi limité les réifications de certains concepts du
modèle tels que Cellule, Grille, Environnement etc.
Cela nous a permis d'avoir un gain considérable en mémoire.
Il est aussi possible dans l'ensemble des évolutions de la forme
initiale de n'extraire en un temps donné qu'un sous-ensemble
défini dans un catalogue au début du programme.
En plus de ces techniques d'optimisation, nous avons procédé
à la parallélisation de notre modèle sur processeur
multicœurs.
Nous savons que la lecture et l'évolution de chaque forme dans un
ensemble est indépendante de celles d'une autre.
Par contre, lorsqu'elle est créée et ajoutée à un
ensemble, la forme doit garantir la condition d'unicité au sein des
autres formes déjà existantes.
Donc, des systèmes d'exclusion mutuelle ont été
envisagés tout en ayant une synchronisation après calcul de
l'ensemble pour s'assurer de la non redondance.
Cependant, ces mécanismes sont élaborés de sorte que les
avantages de la parallélisation ne soient pas sacrifiés.
Implémenté avec le mécanisme d'apoptose, le programme
permet :
- de connaître l'ensemble des évolutions futures d'une forme
donnée par apoptose jusqu'à un temps défini et les chemins
pour revenir à la forme initiale pour chacune des évolutions,
- de trouver, s'ils existent, les suites de couple cellule+contrôle
qui permettent d'aller d'une forme à une autre par apoptose.
Ce modèle nous permet, en cas de mort prématurée de
cellules suite à un dégât cellulaire (nécrose) de
disposer des différentes façons de régénérer
la forme initiale avec les cellules restantes.
Il n'est pas pris en compte l'ordre des actions.
Pour chacun des deux modèles (mitose et apoptose), les ensembles
créés à chaque pas de temps ainsi que l'historique de
leur création sont stockés dans un graphe.
Et des scripts sont générés pour l'affichage des formes.
Références
- J.-P. Aubin.
"Viability theory". Birkhauser, 1991.
- A. Fronville, F. Harrouet, A. Desilles, and P. De Loor.
"Simulation tool for morphological analysis".
In Proceedings of the European Simulation and Modelling Conference
(ESM'2010), Hasselt, Belgium, pages 127-132, 2010.
Mots-clefs:
biologie virtuelle, morphogenèse,
évolution d'ensembles, viabilité.
[link]
[Sarr14a.pdf]